Henri Troyat – Catherine la Grande
En apprenant la mort de l’impératrice, le prince de Ligne s’écrie : » Catherine le Grand (j’espère que l’Europe confirmera ce nom que je lui ai donné), Catherine le Grand n’est plus.
Ces mots sont affreux à prononcer ! L’astre le plus brillant qui éclaira notre hémisphère vient de s’éteindre ! » Cette oraison funèbre n’ajoute rien au prestige de la disparue. Tout au long de son existence, elle a travaillé à sa propre gloire. Au vrai, de guerre en guerre, de conquête en conquête, c’est elle qui s’est agrandie. Ce roc de volonté est d’une structure complexe. Ses nobles idées libérales ne l’ont pas empêchée d’aggraver le servage par la distribution de terres et de paysans aux serviteurs de son trône ou de son lit.
Dans ses rapports amoureux, elle s’est montrée pudibonde en paroles et effrénée en actes. Les hommes ont été à ses yeux des instruments de plaisir. Elle les a choisis jeunes, beaux, forts et, si possible, point trop sots. La vie, pour elle, s’est toujours ramenée à un rapport de forces entre les individus. Les faibles doivent périr. L’avenir est aux ambitieux, aux fougueux, aux têtus, aux mâles. Ces mâles, d’ailleurs, peuvent avoir l’aspect extérieur séduisant d’une femelle.
N’en est-elle pas la preuve Que n’a-t-elle pas apprécié dans le monde ? Le rire, les livres, les hommes, les bêtes, les arbres, les enfants ! Mais rien de tout cela ne l’a jamais détournée de la politique. Une travailleuse acharnée. Et, en même temps, une enjôleuse. Petite princesse allemande, elle a voulu incarner la Russie, elle qui n’avait pas une goutte de sang russe dans les veines. Et ce tour de force demeure peut-être sa plus extraordinaire réussite.