Georges Didi-Huberman – Le danseur des solitudes

 » J’ai vu, un jour, dans les Alpujarras, un oiseau immobile dans le ciel. C’était un petit rapace. Son corps, à mieux y regarder, esquissait bien quelques gestes infimes : juste ce qu’il fallait pour demeurer dans le ciel en un point aussi précis qu’intangible. Sans doute était-ce le sitio convenable pour bien guetter sa proie. Mais il lui avait fallu, pour cela même, renoncer à voler vers un but, ne surtout pas  » fendre l’air « , tout annuler pour un temps indéfini. C’est parce qu’il s’était placé contre le vent – parce que le milieu, l’air, était lui-même en mouvement – que le corps de l’oiseau pouvait ainsi jouer à suspendre l’ordre normal des choses et à déployer cette immobilité de funambule, cette immobilité virtuose. Voilà exactement, me suis-je dit alors, ce que c’est que danser : faire de son corps une forme déduite, fût-elle immobile, de forces multiples.  »
Il ne s’agit, dans ce livre, que de regarder et de décrire philosophiquement, autant que faire se peut, un grand danseur de baile jondo, Israel Galván. Il s’agit de reconnaître dans son art contemporain un art de  » naissance de la tragédie « . Il s’agit d’écouter son rythme et de reconnaître dans ses mots – au moins trois d’entre eux : la jondura ou  » profondeur « , le rematar ou l’art de  » mettre fin  » et le templar, intraduisible – de grands concepts esthétiques que notre esthétique ignore encore.

 

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