Gabriel García Márquez – L’automne du patriarche
Qui est le Patriarche, sinon l’archétype des dictateurs d’Amérique latine ?
Celui qu’évoque Gabriel Garcia Marquez est ce tyranneau sans âge qui règne sur une contrée riveraine des Caraïbes.
Largement fait de la passivité générale sur laquelle il s’appuie, son pouvoir absolu condamne le vieillard cacochyme à une solitude telle qu’elle débouche sur un vide vertigineux.
Ce vide, qu’il faut meubler à n’importe quel prix, tant il est angoissant, le vieux monstre va s’employer à l’agiter de ses fantasmes, que l’apathie de ses concitoyens lui permettra de concrétiser; atrocités sans rime ni raison, décisions aberrantes ou tout à fait inutiles -quand elles ne sont pas prises avec trente ans de retard – alternent – avec les pitreries privées de ce vainqueur de guerres « en chocolat », selon l’expression de Garcia Marquez.
Car le monstre vétuste, ergotant et analphabète qui sévit sous cette latitude suffocante a beau, dans l’état où il est, semer des bâtards à travers l’extravagante bâtisse présidentielle encombrée de vaches et de volatiles, sa dépendance affective vis-à-vis de sa mère est telle qu’il ne pourrait envisager de se marier de son vivant.
A sa disparition, une fiancée « à la voix d’homme » deviendra son épouse le temps d’accoucher d’un prématuré : femme et enfant promis à d’autres horreurs, dans le droit fil de ce roman-fleuve qu’on dirait écrit d’une seule et gigantesque coulée, d’une encre à la fois visionnaire et satirique qui, au-delà du baroque flamboyant qui l’anime si puissamment, manifeste et confirme une maîtrise incomparable.