Frédéric Torres – L’Ombre du photographe

Il y a des histoires qui ne se racontent pas à voix haute. Elles naissent dans les silences, dans le craquement d’une branche sous un pas trop lourd, dans l’ombre qui glisse entre les arbres. Elles ne demandent qu’à être vues, mais peu sont capables de les percevoir. Celle-ci commence dans la forêt. Un homme. Un animal. Un lien tissé dans l’invisible, fragile et pourtant indestructible. Il aurait pu n’être qu’un chevreuil parmi tant d’autres, mais il était autre chose. Une silhouette bancale, un éclopé, une âme cabossée par la violence des hommes. Il survivait là où il n’aurait pas dû, défiant la logique, bravant les saisons, traçant son chemin loin du tumulte. Jusqu’au jour où ils l’ont pris. Il n’y avait eu ni gloire ni nécessité. Juste la bêtise, la brutalité, la joie perverse de détruire ce qui vit. Ils ont ri en tirant, en s’acharnant, en se glorifiant d’un acte qui n’avait ni honneur ni sens. Et quelqu’un les a vus. À cet instant précis, une ligne a été franchie. Une ombre est née. Le temps a passé, mais certaines blessures ne se referment pas. Elles fermentent, se creusent, deviennent autre chose. Alors la traque a commencé. Silencieuse. Patiente. Comme un chasseur qui sait qu’il ne peut rater son tir. Un par un, ils ont senti le poids d’un regard invisible. Ils ont senti le vent tourner, la peur changer de camp. Quand tout fut terminé, quand il ne restait plus que le silence, il aurait dû ressentir quelque chose. Un apaisement. Une délivrance. Mais le vide était toujours là. Plus vaste encore. Parce qu’on ne répare pas ce qui est irrémédiablement brisé.

 

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